Je veux tout de la vie – la liberté selon Simone de Beauvoir

Pascale Fautrier et Pierre Seguin

Je veux tout de la vie

Je veux tout de la vie, être une femme et aussi un homme, avoir beaucoup d’amis, et aussi la solitude, travailler énormément, écrire de bons livres, et aussi voyager, m’amuser, être égoïste et aussi généreuse
Vous voyez, ce n’est pas facile d’avoir tout ce que je veux.
Or quand je n’y parviens pas, ça me rend folle de colère.

Simone de Beauvoir
Lettre à Nelson Algren 3 juillet 1947.

Avec Le deuxième sexe (1949), livre fondateur de la réflexion occidentale sur la condition féminine, Simone de Beauvoir a conquis un prestige international immense à partir des années 60, notamment aux États-Unis.  » Je veux tout de la vie ou la liberté selon Simone de Beauvoir » s’attache à montrer l’importance historique, politique et citoyenne de ce livre, à travers ce que l’évolution du droit des femmes et l’actualité politique du féminisme doivent à Simone de Beauvoir.

Avec les contributions de (ordre d’apparition) :  Michèle PerrotAnnie ErnauxPhilippe SollersDanièle SallenaveDominique DesantiSimone VeilNathalie HeinichSylvie Le Bon de BeauvoirMarie-Jo BonnetMadeleine GobeilYvette RoudyJanine Mossuz-LavauAnne ZelenskyJulia Kristeva.

Auteur : Pascale Fautrier
Réalisateur : Pierre Séguin

Image : Raphaël O’Byrne
Son : Gérard Mailleau
Montage : Emmanuelle Baude
Musique originale : Olivier Calmel
Violon : Johan Renard
Violon Alto : Frédéric Eymard
Contrebasse : Benoît Dunoyer de Segonzac
Percussions : Frédéric Délestré
Ingénieur du son : Thomas Vingtrinier

Production déléguée : Saraband Films / Anne Marie Marsaguet

Coproduction déléguée : L’Institut National de l’Audiovisuel / Christophe Barreyre, Sylvie Blum

Coproduction : La Chaîne Parlementaire – Assemblée nationale / Richard Michel, Christophe Mouton, Isabela Pisani
Images Plus / Dominique Renauld
Le Bord de l’Eau / Dominique-Emmanuel Blanchard, Jean Luc Veyssy

Avec la participation du Centre National de la Cinématographie et du Ministère des Affaires Étrangères et Européennes et le soutien de la Région Aquitaine et de la Procirep et Angoa.

Documentaire / Durée : 52 minutes

Produit en 2008 par Saraband Films

Note d’intention des auteurs

L’ambition de ce film est de faire prendre conscience au plus large public du rôle capital joué par Simone de Beauvoir et son essai majeur, Le Deuxième sexe, dans la révolution des consciences, des mœurs et des lois qui a marqué le dernier quart du XXème siècle : l’émancipation et l’indépendance actuelle des femmes occidentales leur « doit tout » selon le mot bien connu d’Elizabeth Badinter.

Le « slogan » célèbre tiré de ce livre-somme, On ne naît pas femme, on le devient, est l’une des 100 phrases qui ont fait le monde, comme le dit Danièle Sallenave : c’est le « cogito » de l’indépendance et de l’autonomie des femmes. Il signifie qu’il n’y a pas de définition immuable du féminin – au-delà du constat biologique de la différence des sexes. Grâce à Simone de Beauvoir, les femmes savent désormais leur capacité à devenir (à se sentir libres de ce qu’elles veulent être) : un jour ou l’autre, elles devaient entrer dans l’Histoire. Désormais elles ne se contenteraient plus d’être l’Autre de l’homme, et l’objet de son discours, elles se définiraient elles-mêmes, dans la liberté : l’historienne Michèle Perrot nous explique pourquoi ce combat fut un si long combat, en décalage avec les combats démocratiques de l’époque moderne.

Le deuxième sexe a permis à ses très nombreuses lectrices, comme en témoigne notamment Simone Veil, de pouvoir penser la spécificité de leur condition : elles y ont trouvé une description scientifique de leur expérience qu’elles ne pouvaient exprimer auparavant. Et c’est grâce à cette prise de conscience, à cette distance réflexive impartiale dans laquelle se tient Beauvoir, gagnée une fois pour toutes et pour toutes les femmes – loin, très loin de la guerre des sexes, comme le rappelle Philippe Sollers : Beauvoir vivait au moment de l’écriture du Deuxième sexe un amour fou pour l’écrivain américain Algren – qu’ont pu s’accomplir les grandes avancées juridiques tardives du dernier quart du XXème siècle : réforme des régimes matrimoniaux (1965 : une femme peut avoir un emploi sans avoir à obtenir l’autorisation de son mari et dispose librement de ses biens propres) ; fin de la notion de « chef de famille » et de « l’autorité paternelle », remplacée par « l’autorité parentale » (1970) ; loi Neuwirth sur la contraception (1967), loi Veil sur la légalisation de l’avortement (1974)… Simone Veil, Yvette Roudy, Anne Zélensky témoignent de ces luttes victorieuses auxquelles Simone de Beauvoir a doublement contribué : en les rendant possible par le constat dressé en 1949 des difficultés parfois tragiques de la condition féminine (Yvette Roudy, Simone Veil comme tous nos autres intervenants insiste sur leur lecture très précoce du Deuxième sexe : « Je l’ai lu, j’avais vingt ans et ça m’a permis de mieux comprendre des situations qui me choquaient mais je ne trouvais pas les mots pour dire les choses » – Yvette Roudy), puis en rejoignant à partir des années 69-70 le mouvement féministe naissant en France (Anne Zélensky raconte comment Beauvoir s’est immédiatement associée au manifeste des 343 salopes). La sociologue Nathalie Heinich insiste sur le caractère récent de la figure de la femme indépendante – nécessairement instable, difficile à cerner voire ambivalente.

Certaines situations continuent en effet de limiter la liberté des femmes et à les inciter à se penser exclusivement dans son rapport à l’autre : l’amour, la maternité, les contraintes de la vie familiale. Jamais Simone de Beauvoir n’a pensé ni écrit que ces situations devaient être bannies de la vie des femmes, elle a seulement pointé leur ambiguïté, comme nous l’explique Sylvie Le Bon de Beauvoir et a seulement affirmé que les femmes devaient pouvoir continuer à avoir une vie à elles notamment grâce au travail. Dominique Desanti, amie de Simone de Beauvoir depuis la fin des années 30, nous raconte de quelle manière elle a cherché dans sa propre vie la contradiction entre l’attachement à un être indispensable (Sartre) et sa propre autonomie. Marie-Jo Bonnet évoque le double rapport de Beauvoir à l’homosexualité féminine : théorique et personnelle.

Cette pensée de l’existence qu’est Le deuxième sexe, ce savoir vécu ne fut pas d’emblée un acte militant : c’est a posteriori (et en partie sous l’influence des féministes américaines qui ont lu et se sont approprié ce livre-monument dès les années 60, comme en témoigne Madeleine Gobeil) que Beauvoir découvrira les vertus de la lutte collective. Dans son œuvre, Beauvoir se tient incessamment (c’est son éthique) sur cette crête entre revendication collective et affirmation de la singularité. C’est pourquoi ce qui nous a importé ici est de faire entendre des voix singulières, très affirmées : celles de l’écrivain Annie Ernaux, de la politologue Janine Mossuz-Lavau ou de la psychanalyste Julia Kristeva, qui nouent de manière indissoluble appropriation théorique, collectif, politique des combats beauvoiriens, et affirmation d’une expérience et d’une pensée personnelle.

Comme s’est exclamée Sylvie Le Bon de Beauvoir pendant l’interview : que deviennent les femmes qui ont choisi de ne pas assujettir leur féminité à un destin tout tracé ? Elles deviennent et elles deviendront ce qu’elles voudront ! Et les incertitudes des existences singulières est le prix de la liberté selon Simone de Beauvoir.

Merci à jamais à Simone de Beauvoir ! (nous reprenons à notre compte ce cri de reconnaissance par lequel Michèle Perrot concluait le très long interview qu’elle nous a accordé) pour cette inépuisable exigence d’inventer sa vie – dont nous tenons, avec nos intervenants, à passer le témoin.

Pascale Fautrier , Pierre Seguin